Principe de la responsabilité pour troubles de voisinage
(loi : art. unique, I / CC : art 1253, al. 1er [nouveau])
Afin d’élever au rang législatif le régime prétorien de responsabilité pour troubles de voisinage (sans faute), un nouvel article 1253 est introduit dans le Code civil.
Cette disposition prévoit que :
“Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte”.
Ce régime légal reprend les caractéristiques dégagées par la jurisprudence :
- le trouble doit excéder les inconvénients normaux du voisinage, reprenant la formulation habituellement employée par les juges ;
- la responsabilité est engagée sans qu’il ne soit nécessaire de prouver une faute (il s’agit d’une responsabilité de "plein droit").
Il précise par ailleurs les personnes susceptibles d’être déclarées responsables. Sont ainsi visées :
- le propriétaire ;
- le locataire ;
- l'occupant sans titre ;
- le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds ;
- le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs.
Selon les travaux parlementaires, cette rédaction permet d’écarter la responsabilité dite du « voisin occasionnel » (Commission de l’Assemblée nationale, rapport n° 1912).
En suivant ce raisonnement, la liste des auteurs de troubles prévue par le Code civil serait limitative, ce qui pourrait exclure la responsabilité d’un syndicat des copropriétaires.
Exception pour les troubles provenant d’une activité
(loi : art. unique, I à III / CC : art. 1253, al. 2 [nouveau] et Code rural et de la pêche maritime : L.311-1-1 [nouveau])
Le régime de responsabilité pour troubles anormaux du voisinage est assorti d’une exception, dite théorie de la « pré-occupation » de l’activité, qui avait déjà été dégagée par la jurisprudence (voir par exemple : Cass. Civ II : 10.7.91, n° 90-14708), puis par la loi.
Selon cette théorie, la responsabilité pour trouble anormal de voisinage ne peut être engagée si l’activité à l’origine du trouble a préexisté à l’installation du demandeur, que cette activité s’est poursuivie dans les mêmes conditions et en conformité avec la réglementation.
Activités visées
Dans le dispositif prévu par le Code de la construction et de l’habitation (CCH), cette exonération concernait les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par une activité agricole, industrielle, artisanale, commerciale, touristique, culturelle ou aéronautique (CCH : L.113-8 [ancien]). Sur ce fondement, la jurisprudence interprétait de façon stricte cette disposition et excluait de son champ d’application toute activité qui ne serait pas comprise dans cette liste (par exemple, les activités militaires : Cass. Civ III : 8.7.92, n° 90-11170).
Afin de ne pas restreindre cette mesure à certaines activités déterminées, la loi du 15 avril 2024 abroge l’article L.113-8 CCH et prévoit d’appliquer le régime d’exonération à l’ensemble des “activités”.
Bien que cette notion d’activités ne soit pas détaillée dans la loi, les travaux parlementaires ont précisé que "toutes les activités, quelle que soit leur nature, sont potentiellement concernées par cette clause exonératoire de responsabilité, sous réserve que les trois critères [...] soient respectés, ce qui écarte de facto les activités engagées par des personnes privées, qui n’ont pas à respecter de législation particulière" (Commission de l’Assemblée nationale, rapport n° 1912).
Dommages couverts
L’exception n’est plus limitée aux seuls dommages causés aux occupants d’un bâtiment, mais il est désormais fait référence à “la personne lésée”.
Par conséquent, l’objet de cette exception légale est plus large que ce qui était auparavant prévu à l’article L.113-8 du CCH.
Conditions de l’exception
La loi du 15 avril 2024 reprend les trois critères posés par la jurisprudence et l’ancien article L.113-8, à savoir :
- l’antériorité de l’activité (c’est-à-dire que l’activité doit être antérieure à l'acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d'acte, à la date d'entrée en possession du bien par la personne lésée) ;
- le respect par celle-ci des lois et règlements en vigueur ;
- et sa poursuite dans les mêmes conditions, ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal.
Spécificité des activités agricoles
Lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles, l’exception est adaptée au regard de la nécessité de protéger les territoires ruraux spécialement confrontés aux difficultés causées par des troubles anormaux de voisinage.
Les deux critères de l’antériorité et de la conformité aux lois et règlements sont repris. Toutefois, s’agissant de la poursuite de l’activité, elle doit s’opérer dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l'exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité. L’appréciation du caractère substantiel de la modification des conditions d’exercice de l’activité reviendra au juge.
L’objectif de cette mesure est de “répondre au cas d'un exploitant agricole voyant sa responsabilité engagée pour un trouble anormal de voisinage résultant de la modification des conditions d'exercice de son activité en raison de la nécessaire mise en conformité de son exploitation à des normes obligatoires, particulièrement nombreuses et exigeantes en matière agricole, la commission a prévu une cause exonératoire spécifique, insérée au sein du code rural et de la pêche maritime : dès lors qu'une exploitation agricole modifierait les conditions d'exercice de son activité pour mettre en conformité celles-ci aux lois et règlements, le trouble anormal en résultant serait insusceptible d'engager la responsabilité de l'exploitant” (Commission du Sénat, rapport n°388).