Comment analyser la clause insérée dans un contrat de construction d'une maison individuelle qui prévoit que, nonobstant les articles 551 et 552 du Code Civil, le constructeur demeure propriétaire de l'ouvrage qu'il a réalisé jusqu'à l'entier paiem
N° 1992-07 / A jour au 30 septembre 2008
Comment analyser la clause insérée dans un contrat de construction d'une maison individuelle qui prévoit que, nonobstant les articles 551 et 552 du Code Civil, le constructeur demeure propriétaire de l'ouvrage qu'il a réalisé jusqu'à l'entier paiement de sa créance née du marché ? Quels sont les principaux effets juridiques d'une telle clause ?
Validité de la clause
Les articles 551 et 552 du Code Civil posent une présomption de propriété des constructions édifiées sur un terrain au bénéfice du propriétaire de celui-ci. En application de cette disposition, les ouvrages réalisés par un entrepreneur en exécution d'un contrat de louage d'ouvrage deviennent immédiatement la propriété du propriétaire du sol.
Mais les articles 551 et 552 du Code Civil ne sont pas d'ordre public et peuvent être écartés par la renonciation expresse du propriétaire du terrain (Cass. Civ. III, 6.11.70). En conséquence, entre les parties au contrat, la clause de renonciation temporaire au bénéfice de l'article 551 du Code Civil est valable. Il convient cependant de préciser que cette clause ne peut être conclue que si le maître de l'ouvrage est propriétaire du terrain auquel la construction s'incorpore. On ne peut renoncer à un droit que si on en est titulaire (si le maître de l'ouvrage n'est titulaire que d'une promesse de vente, la clause doit-elle est réitérée à la date où il devient propriétaire ?). En acceptant une telle clause, le maître de l'ouvrage confère une garantie absolue au constructeur ou à l'entrepreneur d'être payé.
Opposabilité de la clause aux tiers
Il ne suffit pas que la clause soit valable entre les parties au contrat, encore faut-il pour être efficace qu'elle soit opposable aux ayants-droits du maître de l'ouvrage. Or l'article 28-1° et 2° du décret du 4.1.55 portant réforme de la publicité foncière oblige à publier au bureau des hypothèques tous actes portant "constitution de droits réels immobiliers" " ou constatant" des clauses d'inaliénabilité temporaire et toutes autres restrictions du droit de disposer ". Que l'on considère que la clause de renonciation à l'accession opère une constitution de droits réels immobiliers ou ait pour effet de restreindre le droit de disposer de l'ouvrage, elle doit à l'évidence être publiée pour être opposable aux tiers. Or, un acte n'est admis à publicité que s'il a été dressé en la forme authentique. Il en résulte que les parties doivent réitérer la clause par un acte à part dressé en la forme notarié. De même, une fois les travaux achevés, un acte dressé en la forme authentique et constatant le paiement intégral du prix mettant fin ainsi aux droits du constructeur doit obligatoirement être publié.
Effets de la clause
La clause de renonciation à l'accession foncière permet au constructeur de rester propriétaire des constructions qu'il a édifiées jusqu'au paiement intégral du prix. Il peut donc en jouir, en user et en disposer librement (cf. art. 544 du Code Civil) sous réserve toutefois du respect du contrat. Cette situation particulière risque de créer de nombreuses difficultés juridiques et il est difficile d'en mesurer toutes les conséquences. Ce sera le cas notamment si le constructeur dépose son bilan en cours de construction ou si le maître de l'ouvrage décède en cours de travaux ou encore s'il vend le terrain.
Mais surtout, on imagine mal comment un prêteur qui doit prendre connaissance du contrat (cf. L. 231-10 du CCH) pourrait accorder un prêt au maître de l'ouvrage pour financer la construction.
En effet, en vertu de l'article 2413 du Code Civil, les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent. Le maître de l'ouvrage ne pourra pas grever d'une sûreté la construction faisant l'objet d'une clause de renonciation à l'accession et l'assiette de l'hypothèque sera réduite au seul terrain.
Dans ces conditions, comment un prêteur pourrait-il admettre une telle absence de garantie ? En définitive, la clause risque de se retourner contre le constructeur (plusieurs établissements prêteurs se sont inquiétés de la présence de cette clause dans certains contrats et n'ont pas caché leur réticence à prêter dans ces conditions). Enfin, conçue pour la seule garantie du constructeur, et difficilement compréhensible dans sa substance comme dans ces effets par un non professionnel, on peut même se demander si une telle clause ne répond pas à la définition des clauses abusives donnée par l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Sur ce point, il est à souligner par exemple qu'en cas de réserves formulées à la réception ou dans le délai de huit jours suivant celle-ci, le "maître de l'ouvrage" se trouvera dans une position fragile pour consigner le solde du prix puisque cette consignation empêchera le transfert de propriété de l'immeuble. Sous cet aspect, la clause en question est à rapprocher, semble-t-il, de celle désormais interdite par l'article L. 231-3 § e du CCH.
Par ailleurs, durant la période (peut être longue) nécessaire à la reprise des réserves, "l'accédant" prendra des risques importants s'il prend possession de l'immeuble qui ne lui appartient pas encore.
QR 27.4.92 1992